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À quelques milliers de kilomètres, les femmes afghanes

Dernière mise à jour : 24 nov. 2021




Il y a des dates, dans notre histoire, qui se gravent dans nos esprits. Celle du 15 août 2021 est de celles-ci. Elle marque la prise de Kaboul par les talibans.


Hors de nos frontières, se jouaient une tragédie humaine. J’en ai été choquée, pétrifiée. Comme vous, peut-être.


L’Afghanistan, c’est 40 ans de guerre. Ces derniers mois, depuis le retour au pouvoir des dirigeants islamistes, la précarité économique, l’insécurité et le désarroi ont gagné du terrain, en particulier pour les femmes.


Voici des témoignages d’Afghanes, relayés par la presse.


«Je voulais étudier, voir mes amis et bâtir mon avenir, mais maintenant je n’y ai plus droit», se lamente cette jeune fille de seize ans, rencontrée à son domicile dans l’Ouest de Kaboul. Le régime n’autorise en effet plus les enseignantes ni les jeunes filles dans les écoles secondaires.

«Nous ne voulons pas abandonner notre travail que nous aimons tant. Et la société afghane a plus que jamais besoin que les femmes travaillent. Beaucoup de nos employées font vivre leurs familles», dit Mohadessa, qui maintient discrètement, coûte que coûte, son salon de beauté ouvert.


«Nous ne sommes pas le peuple de la burqa, ni bleue, ni noire. Nous avons en Afghanistan une mode si délicate, si belle, si colorée».

Seema est une sportive prometteuse : «Quand les talibans sont arrivés, des gens m’ont dénoncée. Ils ont dit qu’une femme boxait avec des hommes. Alors, les talibans m’ont écrit pour me demander d’arrêter, sinon il m’arriverait quelque chose».


Ces mots et images à la fois émouvants et violents, font émerger cette urgence: les femmes afghanes, bafouées dans leurs droits, engagent un nouveau combat vital.


J’ai souhaité comprendre les défis que ces femmes doivent affronter, leur témoigner ma solidarité et, en tant qu’élue, contribuer à leur donner écho.


C’est pourquoi, j’ai organisé la conférence «Femmes afghanes: la deuxième guerre», le mercredi 10 novembre à la Ferme rose à Uccle.



Ce soir-là, nous avons abordé ces libertés et droits fondamentaux qui sont en jeu aujourd’hui en Afghanistan: la liberté d’expression, la liberté de la presse, le droit de travailler, le droit à l’éducation, le droit à la santé, la liberté de choix.

Quand à la mi-octobre, un porte-parole taliban indiquait que «leur politique, c’est que les femmes aient droit à l’éducation, au travail et même à faire du business, dans le respect de la règle islamique et pour autant qu’elles portent un hidjab», le secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres critiquait au même moment «les promesses non tenues des talibans envers les femmes et les filles afghanes».

Nous avons également abordé ce contexte politique de crise économique - des millions d’Afghans courent un risque de précarité alimentaire aigu cet hiver -, de crise sécuritaire - en plus des talibans, l’Etat islamique khorasan frappe avec des attaques terroristes - et d’exil, avec des conséquences à prendre en compte aussi pour nos pays européens.





Pour ce faire, nous avons eu la chance d’entendre quatre femmes exceptionnelles, que j’admire:

- Sophie Wilmès, notre vice-Première Ministre, Ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes;

- Razia Arefi, directrice de l’ONG Mothers for Peace in Afghanistan, active dans des projets d’éducation, agricoles et médicaux sur place;

- Hadja Lahbib, journaliste, réalisatrice et autrice du documentaire «Afghanistan: le choix des femmes»;

- et Lailuma Sadid, journaliste afghane basée à Bruxelles et travaillant notamment pour le Brussels Morning, elle s’est fait l’écho des événements dès la mi-août.


C’est une image que j’ai choisie pour illustrer cette conférence : une femme portant une burqa. Cette image symbolise toutes nos craintes d’humains et de femmes solidaires, nos craintes que l’on arrache à nouveau des droits fondamentaux à des femmes, à des filles, à nos semblables, de la manière la plus brutale.



LAILUMA SADID





Lailuma Sadid, à travers son expérience en tant que femme journaliste afghane, témoigne de cette brutalité.

Elle - qui en en 2002 a refusé de porter la burqa à l'université et qui, l’année suivante, a été la première femme journaliste à refuser de porter le foulard et à apparaître à la télévision - a vu les changements s’opérer sous les différents régimes. En 1996, à la suite de la première prise de pouvoir des talibans, les femmes ont commencé à se couvrir.


« Ce fut un désastre et une tragédie pour toutes les femmes comme moi. Nous étions comme des prisonnières et n'avions pas le droit de sortir pour faire une quelconque activité».


Sous le régime taliban, elle a créé une classe d’école secrète pour filles. Mais, pour cette entreprise, les talibans l’ont fouettée et menacée de mort. Elle a alors dû arrêter d'enseigner.

La vie devenant trop difficile, elle emménage dans un petit village que les talibans ne contrôlent pas. Après beaucoup d'efforts, elle réussit finalement à ouvrir la première école secondaire pour filles. Avant la création de cette école, 98% des filles ne pouvaient pas étudier. Ce fut donc une vraie victoire.


«Depuis 23 ans, je me bats pour les droits des femmes, pour l'égalité, la liberté, la liberté d'expression, la liberté de pensée, la liberté de choix, pour la démocratie, la justice pour les femmes et les droits humains. Peut-être qu'un jour je pourrai dire que mon action a libéré une petite fille qui est devenue une femme forte».


«Quand, comme moi, tu ne te couvres pas la tête, ils te traitent d'infidèle et de prostituée, et ils menacent de te tuer».


Après les nombreux changements que l’Afghanistan a connus, Lailuma témoigne que ce sont, aujourd’hui, des journalistes, des militants, des avocats, des artistes, des femmes policières et militaires qui sont pourchassés, simplement pour ce qu’ils/elles sont.


Quel est l'avenir des journalistes et des militants, en particulier des femmes, en Afghanistan?

Aujourd’hui, selon Lailuma, la diffusion des récits contredisant l'islam et couvrant des manifestations menées par des femmes est interdite.


Dans ce contexte, une centaine de femmes ont disparu des rédactions à travers le pays, et ce sont moins de 8 femmes journalistes qui travaillent encore aujourd'hui.


«La liberté d'expression et de nombreuses autres valeurs démocratiques sont en danger en Afghanistan. Je suis préoccupée par l'avenir sombre de la presse et de la liberté d'expression et de pensée en Afghanistan».


«L'éducation des femmes ne les concerne pas seulement, c'est aussi une question de développement national».


«En tuant la jeune génération instruite, les talibans tuent l'avenir de l'Afghanistan».



HADJA LAHBIB




Hadja Lahbib connaît l’Afghanistan pour y être allée à plusieurs reprises. Elle y a réalisé de nombreux reportages. Elle a ainsi assisté à toute la reconstruction du pays, d'abord physiquement puis démocratiquement.


C’est sa connaissance du pays et de la place des Afghanes au cours des dernières décennies qu’elle nous a apportée lors de la conférence. Et, surtout, une autre vision de l’Afghanistan, qui nous paraît si éloignée de la réalité d’aujourd’hui. Elle nous a appris qu'il y avait, avant le retour des talibans, 30% de femmes députées au parlement afghan. Une vraie fierté.


«Il y avait l'émergence de nombreuses femmes qui étaient prêtes à prendre leur place, à être députées. Il y avait des femmes journalistes, et de nombreuses radios commençaient à émerger. Il y avait des jeux télévisés comme The Voice. Cela faisait avancer les mentalités. Cela a créé énormément de sororité. Les femmes qui se rencontraient dans les salons de beauté ou dans les salons de thé, regardaient et s’échangeaient des films, se faisaient belles, écoutaient la radio, ont vu leur vie basculer suite à la prise de pouvoir des talibans».


La liberté de parole existait.


Mais, suite à cette sinistre journée du 15 août, les femmes sont muselées.

Khadija Amin et Shabnam Dawran en sont deux exemples: lles étaient toutes deux présentatrices télévisées des médias afghans, mais ont été remplacées dès l'arrivée des talibans. Aujourd'hui, elles sont au chômage. Mais il est encore possible de les suivre sur Twitter. Elles communiquent sur les réseaux sociaux et crient virtuellement des slogans: entre autres «stop praying for Afghanistan».


Elles disent: «arrêtez de prier pour l’Afghanistan, ça ne sert à rien. Venez avec nous, élevez vos voix, demandez des comptes à vos gouvernements. Demandez ce qu’ils font et surtout ne reconnaissez pas le régime taliban».


Comment venir en aide aux Afghanes et Afghans?


RAZIA AREFI – MOTHERS FOR PEACE




Razia Arefi est venue nous présenter son ONG «Mothers for Peace». Elle est la directrice de l’association. Mothers for Peace (MFP) travaille pour l'autonomisation des femmes, et est une ONG bien connue en Afghanistan.


«La philosophie et l'approche qui ont rendu Mothers for Peace remarquable parmi d'autres organisations, c'est que nous n'avons pas été là pour prêcher pour les droits des femmes, mais nous avons fait des efforts pour améliorer la position des femmes dans leur famille et dans la société».


L’ONG a trois piliers d’action: l’éducation, la médecine et l’agriculture.


L’association fournit aux femmes différentes compétences par le biais de formations professionnelles et de cours d'alphabétisation.

En 9 mois, elles ont pu apprendre à lire, à écrire et à connaître les règles d'hygiène et de santé générales. En obtenant un certificat, certaines ont pu se diriger vers l'école ordinaire et avoir ensuite la chance d'être admises à l'université. Grâce à ces initiatives, beaucoup de femmes ont eu des opportunités d'emploi et ont pu accéder à leur propre revenu, pour elles-mêmes et pour leur famille.


Razia nous a partagé l'histoire de certaines participantes aux cours d'alphabétisation. Notamment l’expérience de Zahra qui est maintenant capable de lire et d'écrire après cinq mois de cours. Cette dernière parlait fièrement des changements opérés dans sa vie: elle peut maintenant aider ses deux fils qui sont en 2e année d'école et sa fille de 5 ans. Zahra dit qu'elle ne laissera personne empêcher sa fille de faire des études. Elle défendra sa fille et ses droits fondamentaux. Razia Arefi et son équipe ont également fondé des cliniques pour prendre soin des femmes enceintes afin de faire en sorte que la famille accueille un bébé en bonne santé. Dans ces cliniques, chaque jour, plus de 80 femmes et enfants sont soignés et plus de 40 sont vaccinés. Les patientes reçoivent des conseils de santé concernant les questions d'hygiène, l'accès à un planning familial, les types de vaccinations, les exercices pendant la grossesse, etc.

Une maison de consultation familiale a également été créée: les femmes se sentaient en sécurité pour partager leurs douleurs, leurs peurs et la violence qu'elles subissent. Les médecins ont pu à plusieurs reprises déjouer des tentatives de suicide et sauver les victimes.


L’équipe de Mothers for Peace forme également des femmes aux compétences nécessaires à la fabrication d'une ferme standard de poulets, de moutons, d'abeilles et étend leurs fermes à de petites entreprises.


«Nous identifiions les femmes veuves dans les villages, leur donnions à chacune 30 poulets et une formation pour les aider à installer leur propre élevage. Nous les avons formées aux maladies, aux traitements et à l'expansion de leur ferme».


L’association dresse un bilan impressionnant:

  • Plus de 5000 femmes et filles ont été diplômées des cours d'alphabétisation et plus de 1000 des cours d'anglais.

  • Plus de 500 femmes ont pu tirer revenu des projets agricoles.

  • Plus de 2000 femmes et enfants ont été traités mensuellement dans leurs cliniques.


«L'éducation, les compétences et les revenus sont les trois piliers qui maintiennent la position des femmes dans la société viable et remarquable».


«Nous sommes là pour apporter le changement de l'intérieur, car nous croyons que cette façon de changer est durable».


«Si un œuf est brisé par une force extérieure, la vie se termine; mais s'il est brisé par une force intérieure, la vie commence. Les grandes choses commencent toujours de l'intérieur. C'est notre philosophie».


Depuis 2019, MFP travaille sur l'idée de fonder un dortoir à Kaboul destiné aux filles qui viennent des provinces: un logement sûr qui peut les aider à poursuivre leurs études supérieures.

MFP voulait créer une plateforme permettant aux étudiantes de concourir sur le marché du travail, d'avoir suffisamment confiance en elles pour défendre leurs droits en ayant accès à des cours d'anglais et d'informatique, à des séminaires, des ateliers et des événements culturels.

Le dortoir devait naître en septembre 2021 mais rêves, espoirs et ambitions se sont brisés suite à la prise de pouvoir des talibans.

«Tous nos efforts de vingt ans, nos luttes contre les traditions irrationnelles, la société masculine dominante, les restrictions au nom de l'Islam, vont être enterrés».




Pour soutenir l’ONG:




Le point commun entre Razia Arefi et Lailuma Sadid est leur appel à la communauté internationale.


Razia rappelle: «Dans ces conditions difficiles où les talibans ont décidé de supprimer la voix des femmes en Afghanistan, tout l'espoir repose sur la communauté internationale, pour user de son influence envers les minorités et les droits des femmes afghanes».

Et Lailuma appelle à la non reconnaissance du régime : «La reconnaissance des terroristes a un fort impact sur le monde. Avant de prendre la décision de les reconnaître, tous les pays devraient bien réfléchir aux conséquences probables. J'espère sincèrement que les hommes et femmes politiques qui dirigent le monde comprendront que la lutte contre la propagation du terrorisme est la seule chose utile pour l'avenir des peuples du monde».


SOPHIE WILMES




Notre ministre des affaires étrangères, Sophie Wilmès, a, tout en nuances, rappelé les critères d'évaluation pour juger de la relation entre la Belgique/l’Europe et le régime.

«Il y a certaines choses que nous voulons voir remplies: gouvernement inclusif, respect des droits humains au niveau international en particulier pour les femmes et jeunes filles, libre accès à l'aide humanitaire, capacité des uns et des autres à sortir du pays. Ces critères d'évaluation ne sont là que pour évaluer de la relation que nous pourrions ou pas avoir avec ce régime. Il n’est pas question de légitimer ce dernier».


Sophie Wilmès a rappelé qu’il y a toujours des Belges sur place que nous voulons sortir du pays. Il faut pour cela pouvoir rentrer dans le territoire. La Belgique doit aussi aussi s’assurer que l’aide humanitaire arrive à bon port. La ministre a évoqué des chiffres:

- Il y a 40 millions d'habitants en Afghanistan. - Il y a en 18 millions qui sont exposés à un risque de famine. - Il y a 1 million d'enfants qui sont à risque de décès cet hiver.

Des hommes, des femmes et des enfants qui ont donc besoin d’aide humanitaire.


«Mais l'aide humanitaire ne rentre pas dans un pays par magie. Et c'est là où il faut être très attentif. Oui, discussion il doit y avoir sur la base de ces critères d'évaluation. Il y a par ailleurs des leviers sur la coopération au développement ou sur d'autres types d'aides qui ne sont pas directement à destination de la population».


«Il va falloir établir ce juste équilibre des choses: comment garder suffisamment de leviers politiques par rapport à un régime qu’on ne légitime pas et ne reconnaît pas, tout en gardant les canaux de communication ouverts pour ne pas laisser tomber la population? C'est un exercice qui doit impérativement être fait au niveau européen».


«C'est pour cela que la Belgique a plaidé pour l’ouverture, si les conditions de sécurité sont remplies, d’un bureau d’aide humanitaire européen à Kaboul».


Revivez l'évènement en image: https://www.clementinebarzin.be/projects-7





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