L’accord du gouvernement fédéral «Vivaldi» a annoncé une future réforme fiscale. Aujourd’hui, on est face à une épure rédigée par le ministre des Finances, un avant-projet, qui n’est pas encore discuté. Le bon moment pour nous interroger, avec les citoyens-contribuables, sur les attentes et les balises souhaitables en matière de réforme fiscale.
Pour que l’impôt soit légitime, il doit être consenti. Cela pose évidemment la question de la lisibilité aujourd’hui de nos impôts. Qu’est-ce qu’on me prélève et à quoi cet impôt est-il attribué, à quoi sert-il ?
Il y a également la question du champ d’application de l’impôt. L’impôt doit-il servir exclusivement au financement des aspects régaliens de notre État, l’ordre public ? A certains services publics, que chaque citoyen-contribuable financerait en vue d’un retour direct ou indirect de ce service selon une logique contractuelle ? Ou l’impôt doit-il avoir une vocation redistributive, être un outil de justice sociale ?
Voilà des questions qu’il est important de se poser. La fiscalité doit continuer de nous interroger, sur ses principes, ses conséquences et sa justice.
Dans son accord, le gouvernement indique vouloir mener une vaste réforme, avec l’objectif de rendre le système fiscal belge plus simple et plus juste.
En ce début 2023, la réalité économique pèse sur la plupart des ménages, qui voient de manière très concrète leurs factures énergétiques parfois tripler. La crise économique touche également les indépendants, qui eux, ne bénéficient pas de l’indexation des salaires et ne peuvent pas toujours répercuter les hausses de coûts à leurs clients.
Le ministre des Finances semble avoir intégré cette conjoncture dans sa réflexion et vouloir «sauver la classe moyenne». Il apparait que son épure entend diminuer la pression fiscale sur le travail mais en supprimant une série de niches fiscales et en taxant davantage le patrimoine. Cependant le patrimoine, pour la classe moyenne, pour les indépendants, c’est aussi le fruit de leur travail, leur épargne, ce sont un ou même plusieurs biens acquis par un travail déjà lourdement taxé.
En Belgique, il faut savoir que le patrimoine est déjà fortement imposé : en matière immobilière, il y a le précompte immobilier, les droits d’enregistrement, de donation ou de succession… En Région bruxelloise et dans ses 19 communes, l’impôt sur la propriété atteint ainsi environ 2 milliards d’euros par an. Avec un taux de 3,5% du PIB, tous les niveaux de pouvoir confondus, la Belgique occupait, selon l’OCDE fin 2021, la troisième marche du podium des pays européens qui taxent le plus le patrimoine.
Jusqu’où est-possible d’aller en fonction de l’impact de certaines mesures sur les comportements des citoyens ? Y a-t-il d’autres moyens pour soutenir la classe moyenne qu’une réforme fiscale ? Voici les questions que j’ai souhaité que nous abordions lors de cette conférence organisée à Uccle le 19 janvier dernier, qui a rassemblé plus de 200 personnes autour de deux personnalités qui se sont exprimées avec clarté et passion :
Maître Typhanie Afschrift, avocate fiscaliste, très libérale sur la plan économique et progressiste sur le plan des valeurs de société, auteure de nombreux livres et publications, ainsi que des chroniques régulières dans Trends.
& Monsieur Georges-Louis Bouchez, avocat, sénateur et président du Mouvement Réformateur, il défend un libéralisme populaire, qui entend réhabiliter la valeur du travail.
Pour ce sujet, il m’a paru essentiel de commencer par demander à nos orateurs quels étaient, selon eux, les trois besoins principaux pour une réforme fiscale en Belgique.
D’après Maitre Afschrift, s’il y avait 3 choses à changer aujourd’hui, ce serait d’abord de réduire l’impôt de manière générale, donc réduire la charge énorme qui pèse sur les contribuables, ensuite de réduire plus particulièrement l’impôt sur le travail et enfin s’attaquer à l’impôt sur les droits de succession, qu’elle juge beaucoup trop injuste, par exemple, pour ceux qui héritent d’une petite maison.
«Ce gouvernement du point de vue des droits du contribuable est une catastrophe, on n’a jamais eu un gouvernement aussi exécrable»
D’après Georges-Louis Bouchez, il faudrait commencer par baisser la fiscalité, la réforme fiscale doit permettre de redéployer les secteurs économiques et surtout de revaloriser le travail. Il nous précise :
«Si vous n’avez pas d’activité économique, vous pouvez chanter Ramona, il ne se passera rien»
Pour terminer il y a un point important qu’il aborde avec conviction, c’est la simplification des déclarations d’impôts, aujourd’hui beaucoup trop complexes pour qu’elles soient justes et équitables.
Pour cette conférence, j’ai fait le choix de sélectionner sept mesures de l’épure du ministre fédéral des Finances afin que nous puissions nous interroger sur leurs impacts potentiels. J’ai demandé à nos deux orateurs de les noter sur 10 afin d’y voir plus clair.
La première mesure est l’augmentation de la quotité exemptée d’impôt ainsi que l’augmentation des barèmes fiscaux. En Belgique, le constat est unanime on paye trop vite trop d’impôt et donc l’idée serait de rehausser les barèmes et de commencer à payer l’impôt à partir du montant de 13 870 euros.
Pour Maitre Afschrift, il parait évident qu’il faut augmenter la quotité exemptée d’impôt.
«Aujourd’hui encore on paie des impôts aux revenus du minimum vital et cela n’a aucun sens»
Sa cotation se justifie par le contexte qui n’est, dit-elle, «pas trop mauvais» mais elle souligne qu’il aurait fallu changer fondamentalement les barèmes.
La quotité exemptée, c’est quelque chose que le Mouvement Réformateur demande depuis plusieurs années, nous précise son président. Il ajoute que la quotité exemptée doit équivaloir aux revenus que vous percevez au CPAS.
«On est dans un pays où on peut démontrer mathématiquement que l’inactivité paie plus que l’activité»
La prochaine mesure abordée à cette occasion, est la suppression des stock-options, éco-chèques, chèques sport, chèques culture, et la taxation de la carte carburant pour les déplacements non professionnels.
Le problème que Maître Afschrift soulève avec cette mesure est que cela ne peut se dérouler que dans un système de réduction globale des impôts puisque ces niches ont été conçues par compensation de taxes excessives. Si on maintient les taxes sur les revenus et qu’en plus on enlève les niches, cela revient à une augmentation d’impôt et cela va toucher les entrepreneurs, les cadres et les employés des sociétés.
Sur le principe, Georges-Louis Bouchez nous précise qu’il n’est pas favorable à ces outils de remplacements, le modèle idéal serait un modèle en flat tax aux alentours de 30% avec une feuille d’impôt plus simplifiée pour tout le monde. Il ajoute que, dans le contexte d’aujourd’hui, supprimer les niches reviendrait à supprimer des secteurs économiques, et en supprimant les éco-chèques on aura une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs qui subissent déjà une crise énergétique sans précédent.
«Si demain vous supprimez les voitures de sociétés et le précompte préférentiel pour les chercheurs, vous n’aurez plus 1 euro investi des entreprises pharmaceutiques»
«Dans tous ces mécanismes-là, l’enjeu il n’est pas fiscal, c’est l’enjeu des cotisations sociales et le ministre des Finances fait une erreur majeure, ce n’est pas l’avantage fiscal qu’on cherche avec les voitures de société mais c’est le fait de pouvoir donner une rémunération sans payer les 33% de cotisations patronale, les 22% de cotisations employés»
La mesure suivante, la réforme des droits d’auteur, s’est, elle, déjà concrétisée.
Cette réforme est aussi une augmentation de l’impôt sur les revenus du travail selon Maître Afschrift. Elle souligne également le risque d’interprétation possible de cette réforme.
«Ce texte de compromis mal ficelé est quasiment impossible à interpréter, on se met d’accord sur des mots, en sachant qu’on n’est pas d’accord sur le contenu, et puis on refile aux juges la compétence d’interpréter. Avant qu’on arrive à la cour de cassation, vu la façon dont la justice belge évolue, il faudra 15 ans avant que l’on sache ce que veut dire, ce qu’on vient de décider maintenant.»
On peut se demander pourquoi une réforme des droits d’auteur est nécessaire aujourd’hui. Georges-Louis Bouchez recontextualise en nous précisant que le MR s’est battu pour ne pas exclure de secteurs mais que cette réforme est aussi survenue à la suite de quelques abus. En effet, l’administration fiscale a dans le viseur les droits d’auteur depuis plusieurs années et applique des contrôles de plus en plus stricts. Le ministre a donc écouté son administration… Il s’agit surtout d’un plafonnement des droits d’auteur.
«Le mieux aurait été de ne rien faire mais on doit composer avec le réel.»
La prochaine mesure concerne les sociétés, il s’agirait de la réduction de l’impôt des sociétés de 20% à 15% couplée à la suppression des intérêts notionnels. Pour rappel un intérêt notionnel est un intérêt fictif, calculé sur le montant du capital risque (les fonds propres). Sa déduction a été conçue pour équilibrer celle qui est accordée sur les intérêts d’emprunts. Elle constituait donc un encouragement à l’autofinancement des entreprises.
Maître Afschrift nous indique qu’elle n’a, en réalité, jamais était favorable à ces intérêts notionnels, pour elle, il y aurait d’autres méthodes plus efficaces pour favoriser les investissements que de calculer quelque chose de fictif. Elle nous précise que cette réduction de l’impôt des sociétés «est juste une petite compensation pour tout ce qui est pris par ailleurs aux entreprises».
Pour Georges-Louis Bouchez, c’est le meilleur moment pour supprimer les intérêts notionnels avant la remontée des taux. Aujourd’hui, le mécanisme n’aurait en outre plus nécessairement de sens car on n’a plus besoin de descendre le taux effectif puisque le taux nominal arrive au niveau du taux effectif.
La 5ème mesure abordée porte sur le découragement des indépendants à passer en société par une indexation de la rémunération minimale pour l’application du taux réduit à l’Isoc.
Cette mesure qui viserait directement à pénaliser les indépendants a mis d’accord nos deux orateurs qui y ont accordé la note la plus faible.
Pour Maître Afschrift, cette mesure serait une grave faute politique, elle ajoute qu’à travers cette mesure on pénaliserait la classe moyenne de notre pays.
Georges-Louis Bouchez nous raconte une anecdote personnelle qui le révolte encore plus face à une telle mesure. En effet, étant fils d’indépendant à la personne physique, pour lui, ne pas encourager un indépendant à passer en société est criminel en ce qui concerne les risques en matière de droit.
«Le gouvernement doit favoriser le goût d’entreprendre et non l’achever », le risque est que l’entrepreneuriat devienne impossible dans notre pays.»
La 6ème mesure concerne le potentiel passage du précompte mobilier de 30% à 25% avec application également aux revenus immobiliers, moyennant un abattement de 6000 euros.
En Région bruxelloise, les additionnels du PRI régionaux et communaux se montent à 900 millions/par an, avec des augmentations importantes déjà annoncées par plusieurs communes. Auxquels s’ajoutent les droits d’enregistrement, de donation, de succession pour un montant total d’1,2 milliard.
25% c’est mieux que 30 pour Typhanie Afschrift, cependant cela reste très lourd, surtout pour un investissement à risque.
«Un jeune qui veut investir dans une startup en Belgique aujourd’hui, si son investissement marche bien, l’État va prendre la moitié, si son investissement marche mal, il perd tout. Ça, c’est ce qu’on lui propose aujourd’hui et ce n’est pas cette mesurette qui va changer les choses»
Le Président du MR tient, lui, à nous repréciser sa conviction selon laquelle on ne peut pas faire de réforme fiscale en Belgique si on ne passe pas en comité de concertation, étant donné les différents niveaux de pouvoirs et compétences impliqués. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le MR propose de revenir à la source de création de richesse avant de vouloir la prélever et ainsi de proposer une réforme du marché du travail. Georges-Louis Bouchez nous rappelle qu’il n’est nullement question de toucher à l’immobilier et s’y engage : «si on touche à l’immobilier, on casse une dynamique de société.»
«La taxation des loyers, c’est vraiment aller taper la petite classe moyenne qui réussit. A force de déprécier la réussite, on fait des générations complètes de gens qu’on pas de moteur dans la vie.»
La dernière mesure que nous avons abordée est celle de la taxation à 15% des plus-values sur actions, obligations et autres produits financiers.
Pour Maître Afschrift, il ne devrait pas y avoir de tabou sur les plus-values, il s’agit d’un enrichissement aussi. Une flat tax serait beaucoup plus judicieuse et taxerait également les plus-values.
«Le jour où on va réduire très sensiblement la taxation sur les revenus du travail, on pourra peut-être dire qu’on peut taxer les plus-values, le poids sera alors supportable»
Le président du MR profite de cette dernière mesure pour résumer la situation aujourd’hui. Il rappelle que 55% du PIB belge sont consacrés à de la dépense publique. L’usage de cet argent manque dans les discussions autour de la fiscalité. Cela pose la question de la manière dont le budget de l’État est conçu : on prend toutes les dépenses de l’année passée, on prend l’inflation et on l’ajoute simplement partout au budget pour l’année à venir... Le MR propose de mettre en place une évaluation réelle des politiques publiques, fixer des objectifs et, si l’objectif n’est pas atteint au terme de l’évaluation, on doit avoir une justification et un recalibrage.
Baisser la charge sur le travail mais sans porter atteinte à la classe moyenne et aux indépendants. C’est entre cette attente et ces balises, toutes fondamentales, que se situe aujourd’hui la réflexion. Les questions du public nombreux l’ont également souligné.
A bientôt pour de nouvelles rencontres passionnantes.
Clémentine Barzin
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