Proposition d’ordonnance organisant la limitation de l’indexation des baux commerciaux : Intervention de Clémentine Barzin, députée MR, en séance plénière du 9 décembre 2022
Chers collègues,
Nous avons eu une discussion nourrie en commission des affaires économiques, avec une série de points d’interrogation qui demeurent.
Je voudrais ici rappeler l’appui de mon groupe au principe de soutenir la trésorerie des commerçants et indépendants confrontés à des augmentations multiples depuis plusieurs mois : les hausses des coûts énergétiques, des frais de personnel, des matières premières et fournisseurs. Certains commerçants, dans les secteurs les plus durement frappés par la crise covid, ont déjà été confrontés à la difficulté de devoir assumer des coûts fixes importants comme le loyer. Aujourd’hui, l’ensemble de ces éléments engendre des situations de plus en plus contraignantes, on puise dans les fonds propres, les économies personnelles voire on s’endette, et c’est parfois la question de la poursuite d’une activité qui se pose. Selon une dernière étude de Trends Business Information, sur les 10 premiers mois de l’année 2022, la Belgique affiche un chiffre record de 75.000 entreprises à l’arrêt et tout porte à croire que la barre des 100.000 devrait être franchie cette année ». Les secteurs de l’alimentation et du commerce de détail sont en première ligne. C’est pour cette raison que le MR demande depuis des semaines la mise en place rapide des aides directes liées à la crise énergétique, qui ne sont pas annoncées avant février.
Néanmoins nous aurions préféré une mesure qui ne stigmatise pas les propriétaires. Nous voyons bien qu’à travers cette mesure, vous souhaitez protéger les locataires mais vous risquez également de rompre des équilibres, les relations de confiance, qui ont été mis en place. Cela peut avoir des effets néfastes sur le moyen terme. Tous les propriétaires ne sont pas là pour abuser de leur loyer, un certain nombre ne l’indexent d’ailleurs pas eu égard au contexte de crise. Mais y aura-t-il des effets de rattrapage à l’issue de l’application de la mesure, des hausses de loyers pour de nouveaux contrats ?
Nous aurions préféré une approche qui permet aux locataires et aux propriétaires de pouvoir négocier entre eux en amenant des arguments équitables et justifiables pour aboutir à un accord entre parties afin de diminuer à terme le coût de l’indexation ou la location en elle-même.
Nous aurions préféré des incitants pour les propriétaires. En l’occurrence, la mesure qui est proposée aujourd’hui dégage le gouvernement des efforts qu’il doit faire en propre : elle ne coûtera pas un euro à la Région et l’effort est porté exclusivement par les propriétaires. Notre préférence aurait été d’ailleurs que cette mesure soit complétée par une compensation par la Région de la perte des propriétaires, dont certains, notamment des petits propriétaires, ont peut-être besoin de loyers pleins.
En commission, alors que la mesure connaît un parcours parlementaire en urgence, trois éléments ont en outre été mis en lumière :
- La sécurité juridique n’a pas été garantie notamment à travers un examen par le Conseil d’Etat. Or, si les Régions sont compétentes pour les règles spécifiques concernant le bail commercial depuis la 6ème réforme de l’Etat, nous nous posons néanmoins des questions. Pour les baux antérieurs à juin 2021, on change la référence du nouvel indice, et, pour ceux démarrant après juin 2021, on change à la fois la référence du nouvel indice et l’indice de base. Bref on change les règles en cours de jeu et, si je ne m’abuse, on modifie pour les contrats à partir de la mi-2021 un indice qui est encore de la compétence du fédéral. On sait que le texte sur le gel des loyers pour particuliers passe au Conseil d’Etat en raison du fait de limiter l’indexation des baux commerciaux en cours, alors pourquoi n’essaie-t-on pas d’avoir davantage d’assurances afin de bétonner le texte qui nous occupe aujourd’hui ?
En commission, notre collègue Emmanuel De Bock a également mis en avant l’arrêt 32/2018 du 15 mars 2018 de la Cour Constitutionnelle et ses considérants B.11.1 et suivants ainsi que B.14.1 et suivants, qui laissent entendre que ce n’est pas la première fois que les loyers commerciaux sont plafonnés mais cela a toujours été fait dans un contexte où les salaires ont été également plafonnés. Si l’on considère le lien entre les deux dynamiques, sans entrer dans un discours sur la pertinence d’une limitation des salaires qui n’est pas l’objet de ce point juridique, on n’observe que la mesure présentée ce jour serait opérée seule, la compétence de l’indexation des salaires étant par ailleurs du ressort de l’autorité fédérale.
Vu ces questionnements et l’importance que mon groupe attache, comme d’autres qui l’ont aussi mentionné en commission, à la légalité et à l’importance que ce texte soit le plus solide possible juridiquement, nous vous demandons, Monsieur le Président, comme cela se trouve dans vos prérogatives, d’adresser la présente proposition d’ordonnance à la section de législation du Conseil d’Etat, où nous pensons que le contexte économique pourra justifier une demande d’examen en urgence afin de ne pas occasionner de retards préjudiciables. Je rappelle que la secrétaire d’Etat Trachte a souhaité que toutes les mesures de crise covid à l’époque puissent bénéficier de cet examen. Et aussi que notre parlement, nous en tant qu’élus, avons un devoir d’exemplarité sur la légalité des textes. Ici, on sent bien que la majorité a choisi la voie d’une proposition et non d’un projet d’ordonnance parce que justement elle permet d’éviter le passage par l’avis du Conseil d’Etat. Mais nous vous le disons : on ne joue pas avec le feu dans ce domaine.
- Un deuxième élément apparu est l’absence de concertations dans l’élaboration de ce texte. En tant que membres de la commission des affaires économiques, nous avons été directement sollicités par des fédérations qui ne se sont manifestement pas senties assez écoutées. Comme cela a été le cas pour toutes les mesures de crise covid, nous aurions voulu que ce texte puisse bénéficier de l’avis de Brupartners.
- Enfin, dernier élément : afin de cibler au mieux une mesure relative aux loyers commerciaux, dont je rappelle la nécessité de préserver certains équilibres, il aurait fallu pouvoir disposer d’informations sur le marché de l’immobilier commercial : la répartition des propriétaires selon leur taille, le nombre de baux commerciaux qui ont été effectivement indexés en 2021 et 2022, le prix moyen d’un bail commercial sur le territoire de notre Région, par exemple.
En conclusion, le MR rappelle son attachement au principe de donner de l’oxygène à la trésorerie des entreprises et commerces mais demande un examen de la proposition d’ordonnance par le Conseil d’Etat. Si le texte devait néanmoins en être privé, mon groupe voterait ce jour positivement mais avec une abstention motivée par cette réserve et celle relative à l’absence de compensation pour les propriétaires.
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