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Harcèlement chez les jeunes, comment en venir à bout ?



En tant que députés bruxellois, nous avons à cœur avec David Leisterh de porter des sujets de société pour leur donner écho, chercher des réponses parfois nouvelles et relayer les préoccupations des citoyens. C’est la raison d’être des rencontres que nous organisons tous les 3 mois. Cette fois, nous nous sommes penchés sur un sujet aussi délicat que complexe, le harcèlement chez les jeunes.

Cet échange fut nourri par les expertises de trois orateurs et oratrices engagé(e)s dans la lutte contre le harcèlement scolaire :


Maria del Rio : comédienne, animatrice de radio et de télévision, sur radio contact et RTL TVI, où elle a, en cette rentrée scolaire, consacré une émission «Tout s’explique» au harcèlement scolaire. Maria est également la marraine de l’association «Les Mots de Tom», qui mène des campagnes de sensibilisation et vient en aide aux parents démunis, perdus ou endeuillés;


Bruno Humbeeck, psychopédagogue et directeur de recherche au sein du service des Sciences de la famille de l'UMons. Il est spécialiste de la gestion du harcèlement. Auteur de plusieurs livres sur le harcèlement : «Pour en finir avec le harcèlement»; «Dis, c’est quoi le harcèlement scolaire ?»; «Le harcèlement scolaire: guide pour les parents» mais également «Comment agir face au cyberharcèlement?».


Pierre-Yves Jeholet, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La lutte contre le harcèlement et cyberharcèlement scolaire constitue une priorité du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.



En Fédération Wallonie-Bruxelles, un élève sur trois serait concerné par cette réalité, que ce soit à l'école, à l'université ou même sur les réseaux sociaux


Aborder le phénomène du harcèlement entre jeunes, c’est l’inscrire dans notre époque. Dans le roman «La Guerre des boutons», on ne compte pas moins de 17 faits caractérisés de harcèlement, et c’était il y a plus d’un siècle, la publication datant de 1912.

L’intensité de la réponse sociale a évolué avec le temps. D’autres phénomènes ont accru l'acuité du problème : avec les réseaux sociaux, l’enfant n’a plus d’espace de reconstruction, ce qui ajoute à cette souffrance. Cet étouffement, on le sait, peut conduire au pire pour un enfant.

Dans le cadre de la préparation de cet échange, nous avons reçu beaucoup de témoignages, parfois très émouvants. Nous avons appris que le harcèlement ciblait une différence…ou pas, qu’il concernait principalement des jeunes à l'adolescence mais aussi des petits enfants, et que seuls 7% des enfants en parlaient à leurs parents.

«J’ai la chance de faire un métier qui met beaucoup de chose en lumière, et à un moment donné dans mon parcours de vie, je me suis posé la question ‘A quoi cette lumière pourrait-elle servir ?’, et c’est comme cela que j’ai décidé de m’intéresser à cette association les Mots de Tom», Maria del Rio

Les Mots de Tom est une association fondée par les parents de Tom, Marc et Véronique, qui un jour se sont retrouvés confrontés à une lettre écrite par leur fils, une lettre dans laquelle il leur disait au revoir parce que, pendant trop d’années, il a vécu des moqueries et du harcèlement de ses camarades de classe. Tom n’a pas osé en parler et a préféré partir. Maria del Rio était présente à la conférence pour représenter cette association - que nous soutenons - et qui a besoin de financement pour poursuivre notamment son travail de sensibilisation et d'aide aux parents perdus face à de telles situations.


L’une des caractéristiques fortes du harcèlement, c’est son invisibilité

Définir clairement ce qu'est le harcèlement est crucial.

«Le harcèlement c’est une souffrance qui est générée par les jeux de pouvoir», Bruno Humbeek

Bruno Humbeeck nous explique que, lorsque quelqu’un devient dominant et un autre dominé, c’est surtout l’appui du groupe qui fait que la position du dominé devient intenable. Il assure, d’après ses nombreuses années d’expérience et d’analyse, que ce troisième pilier, contrairement à l’idée que l’on se fait du harcèlement en raison de sa définition juridique, est déterminant.


Il n’y a pas de témoins dans le harcèlement puisque, dès que vous êtes témoins vous êtes acteurs, des « spect-acteurs ».


La victime ne peut scientifiquement pas réagir face au harcèlement


Souvent la porte d’entrée au harcèlement est la confusion que l’on fait entre humour et moquerie :

- Le sarcasme qui brise

- L’ironie qui met à distance

- La dérision qui rend tout petit


D’après notre expert en harcèlement c’est ce mécanisme qui empêche la personne concernée de réagir, impuissante face à un individu mais surtout face à tout un groupe. Avec les réseaux sociaux, l’effet de groupe est décuplé, et alors le sentiment d’écrasement est tellement fort qu’on ne peut pas demander à la victime de harcèlement de réagir.

Selon Bruno Humbeeck, le cerveau humain est équipé pour organiser notre survie. si vous êtes agressé par des gens plus nombreux et plus puissants que vous, votre cerveau va refuser d’aller chercher de quoi s’opposer. La victime se dit souvent, une heure, trois semaines ou trois mois après, «j’aurais dû lui dire ça, répondre»… Mais malheureusement nous ne sommes pas conçus de telle sorte à réagir.

Les parents doivent avoir conscience de cette incapacité de réagir. Demander à un enfant harcelé de réagir, c’est lui faire endosser un surcroît de culpabilisation : en plus de culpabiliser en se demandant pourquoi cela lui arrive et quelles caractéristiques chez lui ont pour effet que cela lui arrive, on va le faire culpabiliser sur son incapacité à réagir.

« Le harcèlement c’est l’affaire de tous », Pierre-Yves Jeholet

Le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles souligne l'importance de ne jamais minimiser le harcèlement dans une société de plus en plus marquée par des violences, qu'elles soient physiques ou psychologiques. Il insiste sur le rôle essentiel de l'entourage, qu'il s'agisse des parents, des enseignants ou de la direction de l'école. Tous ont un rôle à jouer, et il est nécessaire de responsabiliser davantage les parents, qui parfois peinent à comprendre et à accepter les actes de leur enfant, ne considérant que l'intérêt exclusif de ce dernier.

«Le vivre ensemble et le climat de classe constituent un enjeu majeur car, si l’enfant n’est pas en confiance en classe, il n’aura pas confiance en la démocratie, dans les institutions, qui ne le protègent pas. A Bruxelles, on va dans la bonne direction même si cela est trop lent à mon goût», souligne Bruno Humbeeck

En ce qui concerne la Fédération Wallonie-Bruxelles, de nombreuses actions et initiatives ont été prises dans de nombreuses écoles, mais il manquait une coordination, ce qui posait problème. Par exemple, il n'existe actuellement pas de chiffres actualisés sur le harcèlement, la dernière étude datant de 2018. «C'est pourquoi un Observatoire du climat scolaire a été créé dans le cadre du récent plan de lutte contre le harcèlement scolaire», annonce Pierre-Yves Jeholet.



Appréhender le harcèlement

«En France, un ministre a eu l’idée de développer des cours d’empathie dans les écoles maternelles pour lutter contre le harcèlement. C’est de la foutaise», Bruno Humbeeck

D’après notre expert, les cours d’empathie ne vont pas régler le problème, il faut d’abord que l’empathie génère de la compassion, avec des techniques particulières qui sont celles mises en place avec des groupes de paroles régulés comme c’est le cas en Belgique francophone.

Le message de Bruno Humbeeck est le suivant : dans une société, les émotions s'expriment et ne se contredisent pas. Il est crucial de prêter attention aux émotions. Il estime que le seul élément par lequel nous sommes tous égaux est notre capacité à ressentir des émotions. En apprenant aux enseignants à reconnaître et à utiliser ces émotions, on peut amener les enfants à finir par respecter les émotions des autres. Il explique que le travail quotidien de Maria del Rio consiste à parler et à exprimer des émotions. Bruno Humbeeck témoigne qu'il est plus facile de travailler dans les écoles où Maria est intervenue, car elle a réussi à susciter des émotions chez l'ensemble des élèves.

Cela peut apparaître presque paradoxal mais il faut être particulièrement attentif à la situation de l’enfant harceleur. S’il est ce que l’on appelle un «dominant statutaire», c’est-à-dire un «petit chef», sa santé mentale va beaucoup plus vite se détériorer. Un petit chef va être obligé de geler ses neurones miroirs, c’est-à-dire qu’il va diminuer son empathie pour pouvoir faire des moqueries, des sarcasmes… À long terme, il est observé que les «dominants statutaires» ont un avenir plus sombre, ce qui devrait être une source d'inquiétude pour les parents des harceleurs, souligne Bruno Humbeeck.



Comment prévenir ces situations à risque ?


Il est important de reconnaître les signaux d'alerte chez les enfants et les adolescents. Pour Maria del Rio, cette tâche peut être difficile pour les parents, car ces signaux peuvent souvent ressembler aux changements normaux associés à l'adolescence. Cependant, elle souligne qu'il est essentiel d’y rester attentif car ces changements peuvent cacher des problèmes graves. Elle insiste sur la communication et le maintien d’un lien ouvert avec son enfant: «Faire comprendre à l'enfant que vous êtes là pour lui, et surtout, toujours tout faire avec son accord».

Maria del Rio aborde également la nécessité de former les enseignants pour savoir comment agir en cas de harcèlement.



La première chose à dire à un jeune qui est harcelé :

«C’est fini, ce n’est plus ton problème, c’est à nous de faire en sorte que cela s’arrête et nous savons comment nous y prendre pour que cela s’arrête»

Le conseil de Bruno Humbeeck aux parents : ne pas minimiser et ne pas dramatiser. Le psychopédagogue explique qu’en tant que parents, il importe de ne pas surréagir quand l’enfant dit avoir des difficultés à l’école avec ses camarades. Dans le cheminement d’un enfant qui est sur le point de se suicider, celui-ci va souvent raconter qu’il n’a rien dit à ses parents car il ne voulait pas les faires souffrir, les préserver d’une véritable peine s’ils entendaient ce qui lui arrivait à l’école.

Par exemple, lorsqu’un parent demande à son enfant «ça a été à l’école?», ce dernier va répondre «oui, comme d’habitude» alors qu’en réalité cela pourrait signifier «oui, ça a été l’enfer, comme d’habitude».


On ne peut pas demander aux enseignants de voir ce que les parents n’ont pas vu

«En France, on essaie désormais de demander aux professeurs de reconnaitre des «micro-signaux», mais les enseignants ont autre chose à faire et on ne peut pas leur demander de voir ce que les parents eux-mêmes n’ont pas vu», indique Bruno Humbeeck.

Parents : Comment agir avec l’école ?


Pour notre spécialiste, une école qui minimise c’est une école qui est mal outillée ou une école qui réagit mal face au mot harcèlement. Pour lui, les parents doivent essayer de na pas utiliser le mot harcèlement lorsqu'ils discutent avec l'école, car cela peut parfois entraîner une réaction de fermeture de la part de l'établissement scolaire. Il est préférable pour les parents d'exprimer la souffrance de leur enfant et de demander à l’école ce que l’on peut faire ensemble pour trouver une solution . Et là, le rôle des parents est de ne pas accepter passivement si l'école affirme ne pas savoir comment gérer la situation, car des outils existent, notamment dans l'Observatoire du climat scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les parents peuvent suggérer à l'enseignant d'utiliser les outils existants mis en place en Fédération Wallonie Bruxelles. La clé réside dans l'harmonie et la communication entre les parents et l'école, afin de trouver des solutions. Il est essentiel que les parents et l'école parlent le même langage, car si l'un qualifie la situation de harcèlement tandis que l'autre la minimise, cela peut entraîner une perte de temps inutile. Lorsqu'un enfant souffre, il est impératif d'agir, c'est pourquoi il est préférable de parler du climat de classe sur lequel il est possible d'agir.

«En Fédération Wallonie Bruxelles, on a un climat mille fois plus serein car les solutions ne se sont pas construites contre l'école, contrairement à la France», Bruno Humbeeck

Le partenariat avec les écoles est à l’origine de la nouvelle dynamique mise en place par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

Le 6 avril dernier, le gouvernement francophone a approuvé un nouveau décret relatif à l’amélioration du climat scolaire et la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement à l’école. Il tend à mettre en place un cadre structurel destiné à mieux outiller les écoles afin de prévenir les cas de harcèlement ainsi que de généraliser et pérenniser les mesures adoptées.

Dans ce cadre, le décret s’appuie sur deux axes majeurs :

  • La création d’un Observatoire du climat scolaire ayant pour mission de récolter les données scientifiques relatives au harcèlement scolaire et de fournir des ressources et outils aux écoles.

  • La mise en place d’un programme-cadre d’actions structurelles de prévention et de lutte contre le harcèlement au sein des établissements scolaires qui pourront être accompagnées par des opérateurs externes.

Pierre-Yves Jeholet souligne que l'objectif de l'Observatoire est également d'évaluer ce qui est mis en place, de déterminer ce qui fonctionne, et d'identifier les domaines à renforcer. Cette approche reflète l'engagement de la Fédération Wallonie-Bruxelles à lutter contre le harcèlement scolaire de manière proactive.



L’armoire à 3 tiroirs: 3 pistes efficaces de Bruno Humbeeck pour réguler le vivre-ensemble à l’école


1. Contrer l’effet territoire par l’aménagement des espaces

Bruno Humbeeck définit l’«effet territoire» comme l’effet qui provoque un surcroît d’agressivité dans les espaces clos et bornés où des groupes sont tenus de se maintenir dans la durée (typiquement l’école).

En s’appuyant sur l’idée que la régulation des espaces par la mise en place de règles à la fois claires et précises qui permettent de mieux canaliser les flux et de mieux gérer les regroupements, le psychopédagogue a mis en place dans certaines écoles des symboles indiscutables et facilement identifiables (codes couleurs, rotation de l’accès aux espaces par exemple).

Le rôle d’une école est de contrôler les territoires : comme pour le code de la route, on a des punitions pour gérer les infractions aux codes du territoire. Il en va de la cour de récréation mais aussi des toilettes ou des couloirs de l’école.

«Il faut savoir qu’une règle doit être suffisamment précise pour qu’on puisse en faire un dessin», précise-t-il.

Bruno Humbeeck témoigne que ces espaces régulés sont plus sécurisants (le nombre de signalements d’incidents conflictuels diminue de 80 % dans les espaces régulés) et permettent à chacun(e) d’y trouver sa place sans avoir à disputer son territoire. Il nous donne l’exemple d’une petite fille de 4 ans qui sait déjà que le centre de la cour de récréation est réservée aux garçons… C’est justement cela qu’il faut réguler en aménageant les espaces.


2. Les zones de parole régulées

Bruno Humbeeck estime en parallèle que, pour éviter que le harcèlement ne s’installe, il est primordial que les stratégies préventives et réactives les plus efficaces interviennent dès la manifestation des premières expressions de souffrance des élèves harcelés. Ces stratégies peuvent passer par des zones de parole régulées en groupe classe.


Ces zones de parole régulées doivent suivre cinq règles pour être efficaces en matière de lutte contre le harcèlement scolaire :


Règle n°1 : une émotion se dit et ne se contredit pas

«Les espaces de parole régulés se constituent comme des endroits où, en protégeant les émotions de chacun, on freine les dominants dans leur tendance à décider des états émotionnels qui devraient être éprouvés par tous. C’est à travers ces espaces qu’on laisse une chance à l’empathie de se manifester pleinement au sein des groupes.»


Règle n°2 : c’est l’adulte qui donne et reprend la parole à travers un bâton de parole et qui permet à chaque élève de parler jusqu’au bout sans risquer d’être interrompu

L’idée ici est de protéger la prise de parole en donnant à chaque élève la certitude que personne ne lui coupera la parole. Il obtient, par la même occasion, la garantie qu’il pourra expliquer complètement ce qui est à l’origine de son émotion.


Règle n°3 : on ne nomme pas, on ne désigne pas et on n’accuse pas

Selon Bruno Humbeeck, il est indispensable que le harceleur observe le délitement de son public et qu’il assiste, sans perdre la face, à une reconfiguration du groupe qui le dépossède de son pouvoir. C’est le groupe qui donne un nouveau statut à la victime qui vient de manifester sa détresse émotionnelle.


Règle n°4 : l’adulte qui a la charge de l’espace de parole régulé s’abstient de proposer lui-même des solutions

C’est le groupe qui doit produire ces propositions. L’adulte se contente de poser des questions du type «Qu’est-ce qu’on peut faire pour venir en aide à celui qui est confronté à l’émotion qu’il/elle vient de nous communiquer ?».

Le dominant-harceleur, en percevant que le groupe, dans sa totalité ou en partie, se mobilise pour venir en aide à celui qui vient de faire part de sa détresse émotionnelle, comprend que sa prise de pouvoir est devenue vaine, en même temps qu’il se sent soulagé de s’en sortir à bon compte.


Règle n°5 : institutionnaliser les espaces de parole régulés

Institutionnaliser signifie assurer la visibilité et la disponibilité de ces espaces pour tous les élèves qui, à un moment ou un autre de leur trajectoire scolaire, en éprouvent le besoin.


3. Les conseils d’éducation

Le conseil d’éducation est composé du directeur d’établissement, d’un représentant de l’équipe enseignante et d’un représentant de l’équipe éducative. L’élève incriminé peut se faire représenter par l’adulte de son choix, faisant partie de la communauté scolaire. L’instance lui expliquera les motifs de son comportement d’infraction.

Le conseil d’éducation prononce une sanction quand il paraît nécessaire de recadrer un comportement mais il faut aussi des dispositifs qui permettent de prévenir l’enfant de la sanction à laquelle il s’expose s’il recommence.

«Un tel conseil éducatif constitue un espace institutionnel essentiel, à la fois pour concrétiser les intentions démocratiques de l’école et pour permettre à la direction de mettre en place un lieu d’affirmation de son autorité, qu’elle partage avec son équipe enseignante, chaque fois qu’une loi est en jeu dans le comportement ou l’attitude d’un élève», insiste Bruno Humbeeck.



Le problème des victimes qui doivent quitter l’école…


Maria del Rio affirme que le problème des sanctions est quelque chose que l'on constate dans les nombreux témoignages qu'elle reçoit. Selon elle, les sanctions évoquées par Bruno Humbeeck sont encore trop floues et difficilement applicables aujourd'hui. Cela pousse les jeunes harcelés à n'avoir comme solution que de quitter l'établissement scolaire pour recommencer ailleurs. Cependant, pour le psychopédagogue, croire que mettre le harceleur dehors résoudra le problème ne correspond malheureusement pas à la réalité de la mécanique du harcèlement. Le harceleur est souvent très populaire et apprécié par les autres élèves. Ainsi, expulser le harceleur peut rendre la vie du jeune harcelé encore plus difficile. Il insiste ainsi sur la gestion du climat de la classe.

Bruno Humbeeck rejoint Maria del Rio sur l'importance des sanctions mais précise qu'elles ne doivent en aucun cas ressembler à des sanctions pénales, comme cela a été observé en France, où la police est intervenue à l'école pour interpeller un harceleur de 10 ans. Il voit cela comme un aveu d'impuissance de la part de l'école dans la gestion du harcèlement et de son incapacité à faire société.

Pierre-Yves Jeholet indique que des poursuites judiciaires peuvent être engagées dans certains cas par les parents qui portent plainte à la police pour des faits de harcèlement. Pour lui, il est essentiel d'analyser chaque situation individuellement et de ne pas généraliser les comportements. L'objectif est de résoudre le problème, et il est convaincu que la prise de conscience des parents du harceleur est essentielle, car ils ont un rôle à jouer dans la résolution du problème.

Bruno Humbeeck souligne que la sanction est complexe, car il n'y a souvent pas qu'un seul harceleur, mais plutôt un groupe de harceleurs. Cela rend compliquée la question de «qui sanctionner». Il explique que le système judiciaire est lent mais qu'il ne faut pas le précipiter, car ce ne serait pas nécessairement adapté aux situations de harcèlement.

Il est évident que la question des sanctions est un point sur lequel des efforts doivent être déployés. Les trois intervenants ont des points de vue différents mais s'accordent sur le fait qu'il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.



Le cyberharcèlement


Maria del Rio partage son propre vécu en tant que victime de harcèlement à l'école lorsqu'elle était enfant. Elle souligne les facteurs chanceux qui l'ont aidée à surmonter cette situation, notamment le fait d'avoir des parents attentifs à ses problèmes et d'avoir osé leur en parler. Elle mentionne également que les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque, soulignant la gravité du cyberharcèlement qui sévit de nos jours.

La marraine de l’association Les Mots de Tom explique que le cyberharcèlement est un véritable fléau, car il commence à l'école mais se poursuit en dehors de ses murs, sans répit. Elle évoque le cas tragique de Maëlle, une jeune fille qui a un jour envoyé un «nude» à son petit ami, lequel l’a ensuite diffusée sur les réseaux sociaux. Maëlle avait tellement honte qu’elle n’a pas osé en parler à ses parents, le cyberharcèlement l’a tuée, elle a préféré mettre fin à ses jours.

Pierre-Yves Jeholet souligne l'importance de parler du problème pour mieux le combattre.

Pour notre expert Bruno Humbeeck, on a affaire à une génération de jeunes nés en 2010 et qui sont particulièrement fragiles et terriblement transparents avec leur vie personnelle. Les écoles sont dépassées car la virulence est énorme. Le sentiment d’écrasement que ressentent les jeunes victimes de cyberharcèlement est absolu et instantané et c’est pour cela qu’il faut des réponses immédiates. C’est pour cette raison qu’il a contribué à concevoir «Cyberhelp », une application qui permet aux élèves de prendre et de stocker des captures d’écran, de façon anonyme, en cas de moqueries, d’insultes, d’harcèlement...

Concrètement, les élèves sont invités à installer l'application et à cliquer sur une icône qui enclenchera une capture du contenu à l'écran et générera un mail qui sera transmis aux membres de l'équipe éducative. La situation sera alors analysée et la victime contactée pour mettre sur pied des solutions. De plus, l'émetteur même du message est prévenu, ce qui peut le décourager à poursuivre ses agressions. Comme Maria del Rio l’a expliqué concernant la petite Maëlle, souvent, la victime s'enferme dans le silence lié à son sentiment de honte mais aussi à la crainte de subir des représailles si elle en parle. Ce système permet au cyberharcelé de ne pas se sentir isolé, seul devant son écran, face à l'agression qu'il subit.



Structures et ressources disponibles


Pierre Yves Jeholet nous assure que l’on peut trouver plus de budget pour renforcer les services existants, aujourd’hui saturés. Face à la dette de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’agit, pour évoluer avec les problèmes de notre société, de chercher les ajustements nécessaires dans les enveloppes budgétaires plutôt que des financements complémentaires.

« L’encadrement éducatif représente 7 milliards et je suis convaincu que l’on peut trouver des ajustements complémentaires en réorientant certains budgets pour faire face aux harcèlements. »

Les témoignages poignants que nous avons entendus lors de cette conférence illustrent les défis auxquels sont confrontés les parents. Ils se trouvent coincés entre l'école, la police, le désir ardent de mettre fin à la souffrance de leurs enfants, et la crainte que leurs interventions n'aggravent la situation.

L'objectif de cette conférence était précisément de fournir des clés, un guide pour aider à faire face à de telles situations. Nous avons exploré la prévention du harcèlement, en mettant l'accent sur l'importance de la vigilance face aux signaux d'alerte, les pistes efficaces pour réguler le harcèlement à l'école. Nous avons également discuté du rôle des politiques, avec le nouveau décret relatif à l'amélioration du climat scolaire, des budgets qui doivent évoluer, de la complexité de la sanction et des ressources disponibles pour les victimes.

Ensemble, en tant que politiques, en tant que parents, en tant que professionnels, nous devons venir à bout de ce fléau.

Merci aux orateurs de leur présence à cette conférence importante et de leur engagement dans cette cause.


Enfin j’aimerais m’adresser à tous ces jeunes, je veux vous dire que vous êtes loin d'être seuls dans cette lutte. Le harcèlement n'est jamais de votre faute, et il ne devrait jamais être toléré. Vous méritez d'être respectés, aimés et soutenus. Le courage, c'est de parler, de partager vos émotions et expériences, de demander de l'aide lorsque vous en avez besoin. Le courage, c'est aussi de tendre la main à un ami qui en a besoin, de soutenir celles et ceux qui sont touché(e)s par le harcèlement. Vous avez le pouvoir de changer les choses, de contribuer à créer un climat plus sûr pour tous.

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