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En 2022, le harcèlement de rue n'est plus tolérable!

Dernière mise à jour : 8 mars 2022

Souvenez-vous, en 2012, l'étudiante Sofie Peeters bousculait Bruxelles en diffusant son film documentaire Femme de la rue. marchant dans les rues du centre-ville elle se faisait suivre, interpeller de façon insultante, fixer irrespectueusement du regard.


Aujourd'hui, les chiffres restent hauts : ce sont 9 filles/femmes sur 10 qui sont confrontées à des comportements sexistes dans l'espace public et 97% qui n'ont jamais porté plainte.


Outre l'important "chiffre noir" que ces statistiques révèlent, elles nous montrent aussi qu'en dix ans, la situation n'a pas assez bougé.


C'est ce que je conclus aussi des rencontres que j'ai faites ces dernières semaines. Des jeunes femmes ayant essuyé des agressions sexistes à Bruxelles m'ont fait part de leurs témoignages.

Le harcèlement est subi par des filles depuis leur plus jeune âge. Les filles les plus touchées par le harcèlement de rue ont en effet entre 15 et 25 ans. Les jeunes femmes changent dès lors de comportement : elles se durcissent, portent des écouteurs pour s’isoler, créer une barrière sociale et se sentir plus en sécurité. Elles subissent du harcèlement le plus souvent quand elles sont seules, et se baladent dès lors souvent à deux pour se protéger mutuellement. Certaines disent se faire traiter de «sale pute» ou de « salope », qui sont des mots violents qui peuvent causer un traumatisme, surtout quand l’on est encore une jeune femme. Elles ont souvent intégré que c’est «comme ça», et qu’elles doivent «faire avec». Elles s’organisent par des groupes de parole sur les réseaux sociaux ou de manière associative. Certaines peuvent prendre l’initiative de faire du bruit pour attirer l’attention de témoins ou filmer les harceleurs pour les déstabiliser.

En 10 ans, la fameuse "Loi sexisme" est entrée en vigueur. Selon cette loi de 2014, quiconque commet une discrimination, à l'égard d'une personne en raison de son sexe, peut être puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante euros à mille euros, ou de l'une de ces peines seulement. Néanmoins, les plaintes en vertu de cet outil législatif restent rares et, en 2018 par exemple, l'on dénombrait une seule condamnation. La raison? Cette loi est peu connue, porter plainte reste complexe et prouver le comportement sexiste ainsi qu'une atteinte grave à la dignité restent difficiles également.


Des formations sont données via des associations (Garance, Touche pas à ma pote), avec le soutien de la Région, à des policiers de la zone de Bruxelles-Capitale / Ixelles sur une base volontaire. Mais, alors que d'autres zones de police demandent des formations à l'accueil (écoute, empathie, discrétion...), aux bases juridiques, à l'encodage des plaintes, elles ne sont pas encore soutenues financièrement par la Région, ou pas encore finalisées ou pas encore accessibles.


Sur le terrain, si l’on prend l’exemple du Pentagone, l’autorité publique est représentée par des policiers, notamment des bikers, des gardiens de la paix, des agents de la STIB et, dans les grandes gares, les agents de Sécurail. Néanmoins les capacités sont confrontées à des limites : de priorités, d’horaires, de territoires. Ainsi, la présence policière peut être assurée plus intensément pendant une période en réaction à la survenue d’agressions puis diminuer en effectifs et en contrôles eu égard à d’autres priorités. Autre exemple : les gardiens du parc au Cinquantenaire sont présents en hiver entre 8h et 18h, et en été de 8h à 21h. Or le parc est encore fréquenté par les usagers à la tombée du jour (promeneurs, coureurs). Du côté de la STIB, suite à la crise des attentats, la société publique déploie de 6h à 22h des agents de sécurité dans 9 stations, mais aucun à la gare du Nord, qui ressort pourtant - par quasi un témoignage sur deux - comme un lieu d’occurrence d’agressions sexistes.


En 2017, le nombre de caméras de surveillance sur l’ensemble de la région bruxelloise, qui compte 1,2 million d’habitants), s’élevait à environ 1.500 unités. La ville de Malines, dont la population se monte à 86.000 habitants, en comptait 500 en 2018 (avec l’objectif de doubler à l’échéance de 2024). «Avec les caméras, la criminalité a baissé de 11% en 5 ans», indiquait le bourgmestre Bart Somers. A l’échelle de la population bruxelloise, l’exemple malinois ferait monter le nombre de caméras de surveillance à 7000. La large majorité des témoignages reçus vont dans le sens d’un besoin d'une plus grande couverture des rues bruxelloises par des caméras de surveillance, pour leur caractère dissuasif et leur force de preuve.


La lumière, l'éclairage des rues est un facteur important pour le sentiment de sécurité. Selon l’asbl Garance, qui a organisé des marches exploratoires dans les parcs en 2017, «le manque de lumière entrave la transparence de l'espace. Dans les parcs accessibles après la tombée de la nuit, une bonne illumination est donc nécessaire, surtout aux entrées, sur les chemins principaux et dans des zones plus fréquentées en soirée." Or, dans son plan lumière de 2017, qui est aussi une référence pour les communes, la Région bruxelloise distingue la sécurité objective et la sécurité subjective, et indique que l’on peut «envisager de revoir progressivement nos niveaux d’éclairement à la baisse».


L'urbanisme est aussi un levier pour le partage de l'espace public et l'inclusion des femmes. Mais la "mise en place d'un module spécifique à destination des services publics régionaux de l'urbanisme", annoncée dans le plan régional de lutte contre les violences faites aux femmes, n'a pas encore commencé.

En avril 2019, il y a quasi trois ans, à l'initiative de mes collègues Viviane Teitelbaum et David Weytsman, une résolution a été votée au parlement bruxellois visant à lutter contre le harcèlement dans les transports en commun. Aujourd'hui, le bilan de la mise en oeuvre de ce texte par le gouvernement bruxellois reste faible : une brochure est à venir sur le droit des victimes, le personnel de la STIB serait mieux formé mais il n'y a toujours rien concernant une surveillance accrue, par une présence humaine ou des équipements supplémentaires.

Aujourd'hui, je demande que le harcèlement de rue et les agressions sexistes soient une priorité du gouvernement bruxellois. Celui-ci a un rôle de leadership à développer au départ de ses attributions mais aussi en articulation avec les zones de police et les communes. La parole des filles et des femmes s'est libérée et, sur la base des lieux connus comme problématiques, il faut évaluer et orienter les moyens pour renforcer l'efficacité de l'action publique contre ce phénomène, qui n'est plus tolérable en 2022. La secrétaire d'Etat à l'égalité des chances a rendu public son plan de lutte contre les violences faites aux femmes en juillet 2020, c'est il y a plus d'un an et demi, et nous n'avons toujours aucune réponse concrète.


Mes propositions:


Loi de 2014


En 2018, afin de faire connaître la loi, une campagne en association avec l'association Touche pas à ma pote avait frappé sous le slogan "sale chienne". Il faut prendre exemple sur l'efficacité de cette communication et diffuser largement ce genre de campagne choc. Il importe de s'adresser non seulement aux filles et aux femmes mais aussi aux garçons et aux hommes.


Autorités de prévention et de sécurité


Généraliser les formations contre le harcèlement de rue à toutes les zones de police. Inclure les formations dans le cursus de base et ne pas les limiter à une option sur une base volontaire.


En ce qui concerne les PV, il faut une meilleure catégorisation des plaintes, c’est-à-dire : distinguer les plaintes de harcèlement de rue des plaintes d’agression sexuelle (qui implique un toucher), car il persiste dans la logique de la plainte la mise en avant du fait le plus lourd, ce qui induit que toute une série d’autres faits passent sous le radar.


Pérenniser le dépôt de plainte en ligne, mis en place pendant la crise covid par la police fédérale, «police-on-web», ceci afin de faciliter la démarche et lutter contre le chiffre noir.


Mettre en place des patrouilles d’agents en civil dans tous les quartiers/communes où des faits de harcèlement ont été signalés afin de favoriser la preuve par flagrant délit et donc la sanction.


Intensifier la présence des gardiens de la paix, qui représentent une figure neutre et sécurisante. Ils doivent être déployés dans toute la région et dans tous les quartiers où il y a du passage, notamment en soirée et fin de soirée. Ils doivent également pouvoir jouer le rôle de témoins, facilitant le dépôt de plainte des victimes, et devenir des «agents constatateurs» afin de participer à la sanction administrative des harceleurs lorsque l’insulte sexiste fait l’objet de SAC (exemple : Ville de Bruxelles).


Augmenter sensiblement le nombre de caméras de surveillance en région bruxelloise, proportionnellement à la densité de population, et déployer des caméras en priorité dans les rues/espaces publics où du harcèlement et/ou des agressions sexistes ont été répertoriés.


Aménagements publics et mobilité


Dans les espaces publics et les parcs, appliquer les recommandations des marches exploratoires organisées par l’asbl Garance concernant l’appropriation spatiale et la nécessaire mixité des lieux.


Sur la base des recommandations de Garance et des témoignages reçus, revoir le Plan lumière régional en veillant à une intensité de l’éclairement plus forte en fonction des endroits plus problématiques dans les rues et espaces verts. Privilégier les lumières blanches, qui éclairent mieux, dans ces endroits. En outre, veiller à favoriser la présence de magasins dans les espaces publics et parcs, de sorte à assurer une présence sociale et de la lumière.


Conformément à la résolution de 2019 du parlement bruxellois : aménager, en particulier dans les stations de métro, de nouvelles caméras, des miroirs évitant les angles morts, par exemple, et généraliser la présence d’agents de la STIB dans toutes les stations de métro et tous les lieux où des faits de harcèlement de rue sont rapportés, nous pensons en priorité à la Gare du Nord.


Faciliter, dans la prochaine «ordonnance taxi», le développement de services du type «Girl’s ride», qui proposait en 2019 un trajet sécurisé assuré par des femmes pour 10 euros le samedi de 21h à 4h du matin à Bruxelles.


Sensibilisation


Disposer des panneaux d’affichage indiquant les postes de police les plus proches dans chaque quartier de Bruxelles. Et, dans le même esprit, développer un outil permettant de situer et dès lors de pouvoir rejoindre les gardiens de la paix présents dans un périmètre.


Diffuser à l’échelle des six zones de police régionales la campagne d’information de la zone Polbruno «Harcèlement de rue, que faire?», qui explique le phénomène et donne des conseils pratiques aux victimes ainsi qu’aux témoins d’agression sexiste.


Mettre à disposition un numéro spécifique à Bruxelles à pouvoir appeler quand on est victime de harcèlement sexiste en rue ou quand l’on est témoin d’une agression. Ce serait un service qui indiquerait les lois à la victime, ses possibilités judiciaires et l’aide psychologique qu’il est possible d’avoir pour la diriger vers les institutions et associations adéquates. Cela permettrait également de favoriser l’intervention des témoins.


Développer des animations (notamment des jeux de rôle) et transmettre des brochures sur le sexisme dans les maisons de jeunes de Bruxelles.

Afin de visibiliser la réalité du harcèlement de rue et des agressions sexistes tous les jours dans l'espace public à Bruxelles, j'ai présenté des panneaux avec tous ces témoignages dans les lieux où ils avaient été prononcés. Cette réalité, qui rabaisse les filles et les femmes, les intimide, les fait fuir de certains endroits, les transforme, leur fait peur... porte atteinte à leur liberté au quotidien. C'est insupportable, et c'est pourquoi j'ai voulu en faire mon message à l'occasion de ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes.



Retour sur les témoignages...


« Les choses viennent de nous, des filles ou des collectifs, et non des pouvoirs extérieurs. C’est enthousiasmant car l’on constate une prise de conscience de la part des femmes mais c’est épuisant »

Témoignage de A, 27 ans


« On porte la culpabilité sur la victime »

Témoignage de A, 27 ans


« Moi j’ignore et j’évite »

Témoignage de N, 18 ans


« Jouer la folle furieuse, ça aide. Quand on est une potentielle proie, je rentre dans le caractère, je ne me laisse pas faire. »

Témoignage de M, 36 ans


« L’homme est un animal »

Témoignage de M, 36 ans


« Pour un viol, il faut 6 ans pour espérer recourir à la justice, alors pour des faits de harcèlement en rue… »

Témoignage de X, 29 ans


« Les femmes ne sont pas prises au sérieux »

Témoignage de A, 24 ans


« C’est tous les jours. Ils te regardent. Certains disent : « Viens avec moi » »

Témoignage de R, 26 ans


« Certains insultent : sale pute, pétasse »

Témoignage de A, 15 ans


« A partir de 17h, les lumières sur le boulevard ne sont pas assez fortes ».

Témoignage de D, 14 ans


« Ce sont des regards malsains, comme si tu étais un animal. Cela a commencé quand j’avais 14 ans. On se pose des questions sur soi-même ».

Témoignage de C, 18 ans


« A Bruxelles, même en pyjama, on te harcèle ».

Témoignage de R, 20 ans


« Ils te regardent avec insistance. Parfois c’est dérangeant. Ce sont des hommes entre 30 et 60 ans, parfois »

Témoignage de N, 19 ans


« Parfois, je me dis que ça pourrait être mon père »

Témoignage de S, 22 ans


« A la gare du Nord, je me suis sentie mal d’être là le soir »

Témoignage de Y, 22 ans


« Bruxelles, c’est comme ça »

Témoignage de R, 20 ans


« Comme si on était… des choses ».

Témoignage de R, 20 ans


« Je mets mes écouteurs pour me protéger ».

Témoignage de J, 21 ans

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